II
門前の小僧習わぬ経を読む
Un enfant vivant près d’un temple peut chanter des sûtras qu’il n’a jamais appris
Proverbe japonais
Il ne faudrait pas assez des sept vies d’un chat pour faire le tour des quelques 150 000 restaurants qui donnent à la capitale japonaise sa couleur. Et sa hauteur : hors les bureaux, ce sont les restaurants qui fournissent à Tokyo la chair de son squelette de verre. Vertige sans frayeur car il n’y a presque aucune chance de (mal) tomber, à savoir dans une échoppe où la nourriture serait tout bonnement mauvaise.
Par un miracle dont le sens s’éclaircira peut-être, je ne cours presque aucun risque en vous disant que vous-même n’en prenez aucun à vous rendre dans le premier établissement où le hasard vous mènera au Japon. Excepté les goûts et dégoûts, vous n’en aurez au pire que pour votre argent. Trier le bon grain du très bon n’en est que plus compliqué.
Au Japon, on reconnaît un bon restaurant à ce qu’il vous offre de vraies shibori, particulièrement en hiver où leur chaleur emmitouflée vous emplit de reconnaissance. Foin et haro sur ces informes substituts que le plastique enferme à bon droit ! Autre signe de bon aloi quant à la gastronomie d’une auberge : le nombre de badauds qui attendent leur tour en file indienne. Grande passion japonaise ça, la queue.
Malheureusement pour ceux qui comme moi ne tiennent l’instinct grégaire qu’en piètre estime, la sûreté du jugement par populace est au moins égale à celle de la serviette. Au Japon, vous ne sortirez jamais déçu d’un restaurant recommandé, la présence et le nombre valant en la matière l’avis le plus autorisé. Il ne vous reste qu’à trouver un estaminet dont la gravité provoque le même alignement qu’un hussard dans une cour d’école.
Héliocentrisme des restaurants.
Que l’on me comprenne bien, la baveuse dépendance au groupe est l’un des traits les moins aimables du pays et celui-ci se défend très bien tout seul en matière de modes futiles et sans fondements. Sauf que ces attroupements n’en sont pas.
Pour le comprendre, rien de tel qu’un « umai ! » (ou « oishii ! ») lancé de bon coeur, résonnant dans les travées de bois du Japon immémorial.
Prends garde voyageur, car ici recommander le couvert est autrement plus périlleux que conseiller sur le choix d’un petit ami.
On ne badine pas avec la bouffe.
Et on vous prendra au sérieux, celui du communiant qui s’apprête à recevoir l’ostie. N’est-ce pas, pour cause, de communion qu’il s’agit lorsqu’un de vos comparses, si absorbé qu’il ne remarque presque plus votre présence, psalmodie la lithurgie d’oishii ?
Evidence qui ne m’a pourtant frappé, du sceau de la Lettre volée, que récemment, lorsqu’un ami moine bouddhiste me dit « la vraie religion du Japon c’est la nourriture ». J’avais pourtant déjà entendue cette idée autre part, quoique sans doute formulée moins clairement. Que cette confidence – comme un aveu d’impuissance – provienne d’un moine, voilà peut-être le déclencheur de ce satori mondain.
Pensez-y quand vous irez poser les fesses sur les bancs de bois d’un izakaya comme on les pose gamin sur ceux de la messe, jusqu’à ce qu’ivresse ou douleur s’ensuive. Les dépliants de papier blanc à l’odeur de cierge brûlé qui servaient à accompagner la crécelle existent ici aussi, mais ils ont été distribués à la naissance. Ils ne contiennent qu’une phrase; et encore, un seul mot même, pour le plus grand bonheur de l’enfant attribuant à Dieu les malheurs de séant : Oishii, Amen.